Chroniques

par nicolas munck

Atelier XX-21, Christophe Desjardins, technique Ircam
création de Tesla ou L’effet d’étrangeté de Julia Blondeau

œuvres d’Henry Fourès, Jonathan Harvey et Robert Pascal
Les Subsistances, Lyon
- 21 février 2014
le compositeur Henry Fourès (né en 1948), joué à Lyon par les élèves du CNSMD
© isabelle huguet

Après le nord villeurbannais et son Théâtre Astrée [lire notre chronique de la veille], nous voilà en plein cœur du premier arrondissement lyonnais et de son « Laboratoire international de création artistique », Les Subsistances, pour un concert d’Atelier XX-21 du CNSMD. Il est donné en hommage à Jacques Fustier, figure incontournable de la lutherie locale disparue en 2013 « tel un navigateur, toujours entre pudeur et vérité » (pour faire nôtres les mots de Géry Moutier, directeur de l’institution) – une année décidément noire pour le milieu musical, puisque vient s’ajouter une pensée émue adressée au compositeur britannique Jonathan Harvey, décédé le 4 décembre 2012 à Warwickshire ; ses Chant pour alto solo (1992) et Jubilus pour alto et ensemble (2003) figurent en seconde partie du programme.

Lyonnais, ce menu l’est assurément puisque nous y trouvons une pièce de Robert Pascal, ancien professeur de composition du CNSMD (tout récemment remplacé par Philippe Hurel), …il faut d’abord que je le danse… d’Henry Fourès, qui fut directeur du conservatoire « quais de Saône » entre 2000 et 2009, sans oublier la création, très attendue, de Tesla pour alto solo, ensemble et dispositif électronique en temps réel de la jeune Julia Blondeau, actuellement étudiante du doctorat de composition du CNSMD en cotutelle avec l’équipe Représentations musicales de l’Ircam.

Ce copieux programme de près de deux heures (si l’on intègre les nombreux changements de plateaux) est entamé par Transparences pour flûte en sol et harpe de Robert Pascal, commande d’État créée en Salle Molière (Lyon) en avril 1994 par Robert Aitken et Fabrice Pierre, « patron » d’Atelier XX-21. Voilà une belle pièce, savamment instrumentée, tirant de riches couleurs dans des dynamiques infimes, mais qui ne remet pas directement en question les fonctions instrumentales (impression d’une sonorité « admise »). Cette idée de « transparence », qui opère dans une pertinente fusion des timbres, est particulièrement soutenue par Alice Szymanski (flûte) et Aurélie Bouchard (harpe) dans un son toujours très pur et parfaitement équilibré.

« Pour cette pièce, j’ai envisagé le matériau compositionnel comme un ensemble d’espaces multidimensionnels dans lesquels peuvent apparaître des particularités musicales figurées par des spécificités d’ordres topologiques. En d’autres termes, il s’agissait de construire des territoires dans lesquels je puisse envisager des parcours, des sauts mais aussi toute une géographie » : tel est l’ambitieux projet esthétique de Julia Blondeau pour Tesla ou L’effet d’étrangeté, dédié à Christophe Desjardins qui en assure ce soir la création. En complément de l’amorce d’une recherche sur le temps musical (en lien avec cette multiplication d’espaces), cette page concertante de près de vingt minutes s’inscrit dans le projet MuTant (Ircam-CNRS-Inria) visant à affiner les interactions « temps réel » entre parties instrumentales et partition électronique. C’est ainsi que cette dernière (synthèse) est générée en fonction du tempo choisit par l’interprète. Nous en retenons tout particulièrement la richesse du traitement électronique, entre indépendance et incrustation dans l’écriture instrumentale. Est généré un double rapport de mixité dans la relation alto/ensemble et électronique (fondu) ou alto/électronique. En oubliant presque ensemble et soliste, nous sommes captivés par le champ des possibles ici ouvert, assurément à suivre. Notons la présence à la console de José Echeveste (actuel doctorant à l’Ircam), acteur clé de MuTant qui assure le suivi de partition.

L’alto et l’archet de Christophe Dejardins sont bien au poste pour une suite consacrée à Jonathan Harvey. Interprété avec la ferveur d’un musicien connaissant bien le compositeur, le très court Chant fait rapidement place à Jubilus pour alto solo et ensemble (flûte, clarinette contrebasse, trompette, percussionniste, harpe, guitare, violon, violoncelle). Introduite par une série d’impacts de bols tibétains, cette pièce enthousiasme par ses contrastes et effets d’orchestration. Sons infimes, près du chevalet, en « gouttes de pluies », sont balayés par jeu percussif sur la caisse de résonnance, glissandos étouffés, effet « guïro » transposé à l’ensemble, etc. L’écriture est parfois empreinte d’un certain lyrisme et se fait plus incisive dans des sections rythmiques associant blocs, flûte et trompette. Prévue comme une extension à Chant, la partie soliste de Jubilus, clairement méditative, chancelle entre plain-chant médiéval et rituels tibétains, un curieux mélange relayé par une évolution de l’environnement instrumental. Dédicataire de l’œuvre (créée le 7 novembre 2003 à Radio France pour le trentième anniversaire de L’Itinéraire), Christophe Desjardins en livre une version parfaitement contrôlé.

Renouvellement de l’équipe, pour …il faut d’abord que je le danse…/Dann muss Ich erstmal tanzen (clin d’œil à Pina Bausch) d’Henry Fourès [photo], œuvre dédiée à Jacques Fustier et au violoniste Bohuslav Matoušek. Place lui est donc cédée, ainsi qu’à l’accordéoniste Philippe Bourlois pour un opus « concertant » qui leur font la part belle (piano et percussion sont aussi très représentés). Depuis plusieurs années, le compositeur se passionne pour l’écriture de la danse (et non exclusivement « pour » la danse). Marquée par cette recherche de l’écriture du corps, du geste, de l’énergie, cette pièce s’inspire de « concepts et processus d’élaboration des formes chorégraphiques », dit-il lui-même. Cette belle découverte conclut un concert-hommage(s) foisonnant.

NM